sábado, 17 de fevereiro de 2007

MEMOIRE : Se souvenir d'Abdoulaye Barry et de ses 99.999 camarades disparus...

12.02.2007 19:14:58 Un article de André Lewin, Président de l'Association française pour les Nations Unies

Le mardi 6 février 2007 dans l'après-midi, je me trouve dans l'un des grands salons du Quai d'Orsay. Le ministre des affaires étrangères Philippe Douste-Blazy lit un message du président Jacques Chirac, en présence de la Haute-Commissaire aux Droits de l'Homme des Nations Unies Louise Arbour, du président du Comité International de la Croix Rouge Jakob Kellenberger, et de Simone Veil.

Il s'agit de célébrer la signature de la nouvelle convention de l'ONU sur les disparitions forcées. Sont présents 26 ministres, une trentaine d'ambassadeurs, ainsi que la sénatrice Cristina Kirchner, épouse de Nestor Kirchner, président de l'Argentine, l'un des pays qui sous la dictature militaire a le plus pratiqué ce type de violation des droits de l'homme : qui ne se souvient des "folles de la place de mai" à Buenos Aires, ces milliers de grand-mères et mères des 30.000 disparus, association dont la présidente, Marta Ocampo de Vasquez, est également présente ? Je pense à ceux qui en France ont joué un rôle pour que ce texte soit suggéré, préparé, négocié, rédigé, discuté, adopté, et dont certains sont aujourd'hui présents : les ambassadeurs à Genève Stéphane Hessel (en poste lors de la période cruciale des premiers débats), plus tard Jean-David Lévitte, Bernard Miyet, puis Bernard Kessedjian (qui réussit à boucler par consensus la négociation) et Jean-Maurice Ripert (qui s'y trouve actuellement), le magistrat Louis Joinet (qui soutint ces initiatives depuis le cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy après 1981), mon ancien collaborateur Louis Giustetti, les ambassadeurs Jacques Leprette, présent auprès de l'ONU à New York au tout début de ces efforts et Jean Rochereau de la Sablière, qui suivit régulièrement affaires onusiennes aussi bien qu'africaines, le juge Gilbert Guillaume, alors directeur des affaires juridiques, quelques autres encore...

Mais je vois aussi - ou plutôt je sens - l'obsédante présence - ou plutôt l'obsédante absence - des quelque 100.000 personnes qui ont disparu depuis un quart de siècle, dont nulle trace n'a été retrouvée et dont le sort reste la plupart du temps inconnu, bien qu'aucune illusion ne demeure, dans l'esprit de leurs proches, sur ce qu'il leur est advenu. En 2006, 535 nouvelles disparitions dans 20 pays ont été signalées.

En 1979, je venais de quitter mes fonctions d'ambassadeur à Conakry pour diriger au Quai d'Orsay, jusqu'en 1983, le service des Nations Unies et des Organisations internationales. Mes années guinéennes m'avaient, hélas, mis en présence de nombreux cas de disparitions, européens ou libanais, parfois double-nationaux, mais surtout africains (guinéens, sénégalais, maliens..). J'étais particulièrement soucieux du cas d'une dizaine de hauts responsables guinéens, ministres, chef d'état-major, ambassadeurs, directeurs, magistrats, qui avaient épousé des Françaises et dont certains avaient aussi la nationalité française; ils avaient été arrêtés entre 1968 et 1972, et avaient nom Camara Balla, Keita Noumandian, Keita Fadiala, Marof Achkar, Barry Abdoulaye (Djibril), Barry Baba, Keita Kemoko, Soumah Théodore, Sylla Fodé Saliou, Touré Sékou Sadibou... Ces femmes n'avaient plus eu de nouvelles de leurs époux depuis que la plupart d'entre elles avaient dû, généralement sous la contrainte, quitter la Guinée.

Elles avaient formé une association qui s'était juré de ne pas relâcher son effort tant qu'elles n'auraient pas de nouvelles du sort de leurs conjoints, qu'ils soient morts ou détenus. Nadine Bari (Barry), dont le mari Abdoulaye, était, au moment de sa "disparition" en 1972, chef de cabinet du ministre des affaires étrangères, était leur présidente, et elle était mon aiguillon. J'étais en relations régulières avec elle, sachant que ma fonction consistait à entretenir les meilleures relations avec Sékou Touré de manière à conforter des liens franco-guinéens encore fragiles, mais que mon devoir d'homme était d'aider ces épouses à savoir la vérité. Je n'avais aucune certitude, mais j'étais réaliste et je ne voulais lui laisser aucune illusion; elle n'en avait guère, mais elle avait l'espoir, la foi, la persévérance, la détermination.

Une fois revenu au Quai d'Orsay, je ne cessai de la rencontrer, d'aller à Strasbourg participer à des réunions de son association, et finalement, lorsque Sékou Touré revint en France pour la première fois, en septembre 1982, je lui obtins un rendez-vous auprès du leader guinéen. La rencontre se passa mal, on peut l'imaginer. Nadine la raconte, comme le reste de son combat, dans le livre "Grain de sable", car elle espérait bien être le grain de sable qui devait bloquer la bonne entente entre Paris et Conakry. Ce n'est finalement qu'après la mort de Sékou Touré en 1984 qu'elle pourra se rendre sur place, enquêter et apprendre la terrible vérité.

Bien que nous ayons eu des objectifs opposés, je lui rends hommage pour sa fidélité à un homme, pour son courage inaltérable, pour son attachement à la Guinée, où elle réside désormais, se consacrant aux importantes actions de son ONG Guinée-Solidarité.

Bien sûr, en Amérique latine, en Afrique, au Proche Orient, en Asie ou en Europe, d'autres régimes ont à cette époque utilisé à grande échelle la pratique des disparitions, mais c'est l'histoire de Nadine Bari et de ses amies qui m'a incité, dès mon retour à Paris, à faire prendre à la France des initiatives à la Commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève.

C'est ainsi que se sont succédé une première résolution votée en 1979 à l'assemblée générale et la création en février 1980 d'un groupe d'experts chargés d'enquêter sur place sur les personnes disparues (il a examiné 51.000 disparitions dans plus de 90 pays et en a élucidé 7.000). Plus tard, en 1992, une Déclaration sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées, a été proclamée par l'Assemblée générale, qui assimile cette pratique au crime contre l'humanité. Enfin, après l'approbation par le nouveau Conseil des droits de l'homme, l'Assemblée générale a, le 20 décembre dernier, adopté par consensus le texte, présenté par la France et l'Argentine et co-parrainé par 103 États, d'une Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Elle rend comptable de ces disparitions le gouvernement du pays où elles sont intervenues, en première ligne évidemment les autorités publiques - police, armée, services secrets, milices ou forces para-militaires - mais aussi les groupes terroristes, les guérillas, opérant sur territoire de cet État, etc... Elle ne concerne que les disparitions intervenues pour des fondements politiques ou idéologiques, et non les disparitions ou enlèvements qui ont des motifs crapuleux avec demandes de rançon, chantages, etc, ou des raisons privées. Par ailleurs, elle n'est pas rétroactive, ce qui est évidemment très regrettable.

Contrairement à la Déclaration de 1992, la Convention sera obligatoire pour les pays qui l'auront ratifiée, et aura une force morale pour les autres; longue de 45 articles, elle entrera en vigueur dès la ratification de 20 États. Le 6 février, première étape, elle a été signée par 55 pays (dont 17 pays africains); la Guinée n'était pas représentée; mais pas non plus la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, les États-Unis, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, le Liberia, la Birmanie, la Colombie... Il aura fallu 25 ans, un quart de siècle, pour que ce moment arrive, et que toutes les Nadine Bari du monde d'aujourd'hui puissent enfin espérer que de telles pratiques sont définitivement proscrites, et que, s'il devait encore s'en produire, leurs auteurs seront arrêtés, jugés et condamnés, et que la vérité leur est dûe. Merci, Nadine.

PS : 27 Pays signataires représentés par une personnalité politique : Albanie, Algérie (MAE Bedjaoui), Argentine (madame Cristina Kirchner), Brésil, Burkina Faso, (MAE), Burundi, (MSolidarité nationale, droits de la personne humaine et du genre), Congo (MAE), Côte d'Ivoire (MAE), Croatie, France, Ghana (MAE), Guatémala, Haïti, Japon, Lituanie, Luxembourg, Maldives, Moldavie, Maroc (Vice MAE), Ouganda (MAE), Sénégal (MAE), Serbie, Sierra Leone (MAE), Ancienne république yougoslave de Macédoine, Tunisie (MJustice et droits de l'homme), Vanuatu 28 pays représentés par leur ambassadeur ou autre (parlementaire, chargé d'affaires) : Belgique, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Cameroun, Cap-Vert, Chili, Comores, Costa Rica, Cuba, Chypre, Finlande, Grenade, Honduras, Inde, Kenya, Liban, Madagascar, Malte, Mexique, Monaco, Mongolie, Monténégro, Niger, Paraguay, Portugal, Samoa, Suède, Uruguay

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