Lectures :
Out of Africa
par Vincent Hugeux
Antoine Glaser et Stephen Smith enterrent une illusion perdue: la «Françafrique»
Ceci est tout à la fois un acte de décès, un rapport d'autopsie et un requiem. Le trépas? Celui du magistère qu'exerçait la France sur les vestiges de son empire subsaharien. Mais Antoine Glaser et Stephen Smith, qui, en solo comme en duo, s'emploient depuis des lustres à désenvoûter notre vision du continent noir, dissèquent aussi le cadavre, encore tiède, d'une illusion postcoloniale. Parce qu'il explore la genèse d'indépendances ambiguës, parce qu'il balaie un demi-siècle de divorces inaboutis, leur regard a une profondeur de champ salutaire. Lus sous cet éclairage, la succession dynastique togolaise, la valse des tyranneaux centrafricains ou le naufrage de la Côte d'Ivoire deviennent intelligibles. On voit ainsi triompher, puis se déliter, la «Françafrique», néologisme forgé par Félix Houphouët-Boigny, héros d'une souveraineté dont il ne voulait guère.
Traversée de personnages attachants ou méprisables, truffée jusqu'à l'excès de statistiques, la démonstration laisse une impression de gâchis. Car Paris paye d'autant plus cher la rétraction du «pré carré» que son désengagement - militaire, économique, culturel - a été conduit à reculons et à contretemps. Voici donc Marianne au milieu du gué, coincée entre le procès en ingérence et le soupçon d'abandon. La France a quitté la berge d'un ordre révolu pour godiller vers une rive incertaine. Il n'y a, ici, ni masochisme ni indulgence pour les despotes africains. Mais une volonté de renvoyer chacun à la vérité, nue et crue, de ses errements. Au fond, la patrie de Mendès France et de Victor Schœlcher s'est autant perdue en Afrique qu'elle a perdu l'Afrique.
Comment la France a perdu l'Afrique, par Antoine Glaser et Stephen Smith. Calmann-Lévy, 268 p., 18 €. En novembre 2004, quelques images d'exode en provenance de Côte d'Ivoire, diffusées sur toutes les chaînes de télévision et s'étalant à la une de leurs journaux, ont révélé la fin d'une époque. Comment faut-il s'expliquer le subit désamour entre la France et l'Afrique ? Pourquoi la politique africaine de Paris ressemble-t-elle à une longue et pénible retraite, un combat d'arrière-garde perdu d'avance ? C'est à ces questions que répond le livre qui ne se borne pas à une critique de circonstance de l'action gouvernementale. Embrassant plus d'un demi-siècle, depuis l'épopée de la France libre qui a débuté sur le continent noir, l'ouvrage, foisonnant d'informations souvent inédites, sur de Gaulle et les « réseaux Foccart », sur le « gendarme de l'Afrique » rival de l'Amérique, mais aussi sur les nouveaux dossiers africains que sont la lutte anti-terroriste, l'épidémie du sida, l'écologie et le réveil religieux, remet en perspective la France et « son » Afrique, mais aussi le monde qui a changé et qui détermine le champ des possibles entre Paris et ses anciennes colonies. Désorientée, ayant perdu ses repères habituels, la France est prise dans la spirale descendante. Tardant à réagir, toujours fortement impliquée mais ne maîtrisant plus la nouvelle donne d'une Afrique qui vit sa révolution citadine, et dont 46% des habitants ont moins de 15 ans, l'ancienne puissance coloniale perd sur tous les plans, quoi qu'elle fasse : tantôt elle est accusée d'ingérence, tantôt de renier ses « responsabilités historiques »...L'irruption du terrorisme islamiste, et de la lutte que les Américains engagent contre lui à l'échelle mondiale, met la France définitivement hors jeu en Afrique.
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