Le président Lansana Conté compte sur l'armée pour éviter une «guerre civile».
Les forces de l’ordre ont tué au moins huit personnes, après l’instauration de l’état de siège, lundi dernier. Depuis le début de la présente crise, en janvier, au moins 112 personnes ont été tuées dans des incidents à l’occasion des manifestations organisées par les centrales syndicales guinéennes. La situation en Guinée provoque des réactions dans le monde : les organisations humanitaires et syndicales internationales, ainsi que le secrétaire général des Nations unies, ont fait état de leur préoccupation au sujet de l’évolution de la situation dans ce pays africain.
Les militaires continuaient mercredi de patrouiller et des blindés ont été placés à des endroits stratégiques de Conakry, où les rues étaient désertes, même si le couvre feu a été légèrement assoupli. Désormais les gens pourront sortir de 12 à 18 heures et non de 16 à 20 heures, comme initialement annoncé.
Le chef d’état-major des armées, le général Kerfalla Camara, a indiqué mardi que les patrouilles pourront faire usage de leurs armes, «en cas de résistance, de menace ou d’attaque». Les réunions publiques restent interdites, mis à part les cérémonies religieuses.
Des actes d’intimidation ont été signalés durant cette journée, avec des militaires qui ont pénétré dans des domiciles privés pour voler. Dans la nuit de mardi à mercredi, au moins quatre personnes ont été tuées par les forces de l’ordre dans la banlieue de la capitale. L’état de siège a été proclamé lundi dernier par le président Lansana Conté pour éviter «une guerre civile», suite à la reprise de la grève générale. Les syndicats et les partis de l’opposition contestent la nomination d’Eugène Camara au poste de Premier ministre et exigent également le départ du président Conté, âgé de 72 ans et malade, qui est au pouvoir depuis 23 ans.
Réactions de la communauté internationale
La situation en Guinée suscite des réactions à l’échelle internationale. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a réaffirmé sa «grave préoccupation devant la détérioration de la situation politique et sécuritaire en Guinée». Il a également déploré les nouvelles pertes en vies humaines et la destruction délibérée de biens. Dans une déclaration publiée mardi soir à New York, le secrétaire général de l’Onu «regrette l’échec de la mise en œuvre de l’accord signé le 27 janvier 2007, qui a replongé le pays dans la crise et risque d’entraîner une instabilité généralisée». Ban Ki-moon appelle le gouvernement guinéen et les chefs des syndicats «à reprendre le dialogue et à mettre en œuvre, en toute bonne foi, l’accord signé le mois dernier». Les Nations unies sont «prêtes à travailler étroitement avec toutes les couches de la société guinéenne et avec les partenaires de la Guinée pour mettre un terme à la crise actuelle et pour rétablir la stabilité durable et le développement».
De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM), qui est une agence de l’Onu, a condamné le pillage d’entrepôts alimentaires pendant le dernier week-end en Guinée, où ont été dévalisés «près de 450 tonnes de vivres, qui devaient être distribués aux écoles et communautés les plus pauvres» du pays. Le PAM affirme que ses bureaux installés dans la ville de Kankan, à près de 500 kilomètres de Conakry, «ont été la cible de pierres lancées par une foule, ce qui a provoqué l’évacuation des membres du personnel international vers le Mali».
A Bruxelles, la Commission européenne a condamné «la suspension effective des droits individuels et des libertés fondamentales» en Guinée. Le commissaire au Développement, Louis Michel, déplore «le manque de respect des droits de l’homme et des principes et des principes de l’Etat de droit, éléments essentiels de l’Accord de Cotonou dont la Guinée est signataire». La Commission pourrait ainsi geler les fonds européens attribués à des projets de développement dans ce pays africain.
A Londres, l’organisation humanitaire Amnesty international s’est déclarée également très préoccupée par l’instauration de la proclamation de l’état de siège en Guinée, qui «donne de facto aux forces militaires pleins pouvoirs pour remettre en cause plusieurs des libertés fondamentales auxquelles on ne peut pas déroger». Véronique Aubert, directrice adjointe du programme Afrique de cette organisation, a affirmé mercredi que les forces de sécurité guinéennes «ont une volonté de tuer et non simplement de disperser des manifestants», car, selon des sources hospitalières à Conakry, de nombreuses personnes ont été touchées par des balles «au niveau de l’abdomen et du thorax».
Les syndicats internationaux se mobilisent
La Confédération syndicale internationale (CSI), dont le siège est à Bruxelles, a appelé mardi la communauté internationale «à faire pression sur les autorités guinéennes afin de garantir l’arrêt des violences et la restauration des garanties démocratiques». La CSI, qui regroupe plus de 300 syndicats dans 153 pays, affirme que, avec l’instauration de l’état de siège, «c’est aujourd’hui la violence qui prime en Guinée et l’intégrité physique des syndicalistes et opposants au régime qui est en danger». A Genève, le Bureau international du travail (BIT) a demandé aux autorités guinéennes «d’assurer la sécurité des dirigeants syndicaux pour une négociation immédiate et de bonne foi, pour mettre fin à la violence et trouver des solutions à travers le dialogue».
A Dakar, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) s’est insurgée, mardi, contre la «terreur» qui règne dans les médias de Guinée. LA FIJ s’inquiète notamment pour la sécurité «des journalistes locaux et correspondants des médias internationaux».Lundi, les locaux d’une radio privée, FM Liberté, avaient été saccagés par des éléments de la garde présidentielle. Un journaliste et un technicien de cette station avaient été arrêtés, puis remis en liberté mercredi. Deux autres radios ont décidé de suspendre leurs émissions, après avoir reçu des menaces anonymes.
L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) affirme que la communauté internationale doit réagir «pour protéger les populations victimes de violations des droits de l’homme» en Guinée.
Cette crise inquiète les Etats voisins, notamment le Sierra Leone, où le président Ahmad Tejan Kabbah a affirmé que les dirigeants ouest africains œuvraient «en faveur d’une rapide sortie de crise». La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait demandé le 19 janvier aux présidents sénégalais, Abdoulaye Wade, et nigérian, Olusegun Obasanjo, de tenter une médiation auprès des autorités et des dirigeants syndicaux guinéens. Mais cette mission a été refusée par Conakry.
La présente crise en Guinée va être un des «sujets chauds» qui vont être discutés lors du sommet Afrique-France, jeudi et vendredi à Cannes. Le gouvernement français doit envoyer dans le golfe de Guinée un navire transporteur pour renforcer son dispositif maritime dans cette zone, «par mesure de précaution».
par Rédaction Internet (avec AFP)
Article publié le 14/02/2007 Dernière mise à jour le 14/02/2007 à 19:29
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